samedi 21 février 2015

Première journée d’un autre monde

D*** est une foule. Que fait-elle là ? À peine descendue de l’avion, un homme, petit et cuivré, s’empare de sa valise. Elle n’a pas le temps de protester. D’ailleurs, elle ne connaît pas la langue, quant à son anglais, il est approximatif, inaudible. Le petit homme lui a arraché des mains sa valise, plus tard il lui soutirera de l’argent, beaucoup d’argent ; elle ne sait pas compter, ne se familiarise pas encore avec cette monnaie. Elle le suit, craint à l’égarement. Difficile pour elle de se frayer un passage parmi la foule, on la tire, on la bouscule, elle chavire. Le petit homme revient sur ses pas, lui prend avec fermeté la main ; elle se sent happée. Des gens restent assis sur les trottoirs, d’autres semblent dormir ; ils sont morts. Elle ne réalise pas, la tête lui tourne, elle a du mal à marcher. Au loin, on entend une déflagration, une explosion, un immeuble s’effondre. Elle a peur, s’agrippe à l’homme. Pourquoi cette foule ? Enfin, ils s’engouffrent, elle lui tenant toujours la main ; lui, sa valise. L’immeuble est sombre, malodorant, sale, sans lumière. Elle trébuche dans l’escalier. Le petit homme ouvre une porte, la tire dans une pièce obscure, la balance sur un lit, ricane. Qu’en est-il de ce soleil d’Orient, de la gentillesse de ces gens, de la beauté de leur pays ? Elle se souvient des chichas, des femmes allant au marché, des hommes au café, des maisons ombragées, des beaux tapis, du thé offert et des sourires, et de la douceur de vivre aussi. L’homme est sur elle maintenant ; elle crie. Le réveil est brutal. Draps immaculés, cheveux trempés, corps en sueur. D’un bond elle se lève, court vers son ordinateur, l’allume, regarde encore et encore. Photos de chaos, villes en feu, gens qui courent, enfants hagards, femmes en larmes, explosions, corps désarticulés, villes désertes. Et c’est là qu’elle prend sa décision. Y aller. Peut-être est-il encore vivant. Peut-être n’est-il pas encore mort. Alors, elle y va. La voilà bout de femme égarée dans un aéroport, une valise à la main. Rien à voir avec son rêve. D*** est un désert. Un homme s’approche pourtant. Il est petit et cuivré, il s’empare de sa valise et elle n’a pas le temps de protester.

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