samedi 21 février 2015

Après qu'elle était tombée de l'arbre

« Après qu’elle était tombée de l’arbre en cueillant des pommes, rien n’avait été plus comme avant. » On disait d’elle, au village, qu’elle avait un petit vélo dans le cerveau. Je ne comprenais pas bien ce que ça voulait dire. Je la trouvais gentille, et je ne dis pas ça parce que c’est ma sœur. À l’école, on est dans la même classe. Avant, elle était douée, maintenant, c’est plus pareil. J’avais toujours cru qu’elle aimait les pommes, mais à ce point, à monter à l’arbre, à en tomber… Le maître, il l’aimait bien mais c’était avant, après c’était plus pareil aussi, puis elle a fini au fond, près du radiateur. Elle restait là, sans rien dire. Pourtant, elle ne s’ennuyait pas, elle nous fixait juste avec ses grands yeux bleus, sa bouche en cœur.
Chez nous non plus, elle n’était plus la bienvenue. Depuis qu’elle était tombée de l’arbre, elle ne servait plus trop à grand-chose. C’est bien dommage, car avant, le père, il aimait bien l’emmener dans les champs avec lui, et bien que la mère, elle, elle n’aimait pas ça, elle disait trop rien. Car, faut dire, ma sœur c’était une jolie petite fille, et elle l’est encore d’ailleurs, malgré la chute, et moi, son frère jumeau, j’en suis pas peu fier.
Dès les beaux jours, le père l’emmenait, la prenant par la main. Je me souviens de sa longue chevelure blonde bouclée, de sa belle robe fleurie et de ses sabots blancs de la même couleur que ses socquettes. « C’est t’y pas une tenue pour les champs », disait la mère. Je crois bien qu’elle était jalouse. Ça faisait bien longtemps que l’père l’avait pas menée à travers champs, la mère, ça devait drôlement lui manquer. Moi aussi j’étais jaloux, dans ces moments-là, le père, il m’interdisait de venir. Et même la sœur, elle faisait une de ces têtes parfois, à croire qu’elle ne connaissait pas sa chance.
D’ailleurs, c’est un jour de ces étés-là qu’elle est tombée de l’arbre. Le père, il n’a pas su la surveiller, il paraît qu’il faisait la sieste. Il s’en est voulu, j’vous jure, même qu’il a tellement honte qu’il n’ose même plus retourner au village. Surtout qu’au village, on dit que la petite, elle n’aimait pas tant les pommes que ça. C’est vrai. Alors, pourquoi j’ai prétendu le contraire ? Sans doute pour protéger le père. Surtout qu’il m’a dit, il me l’a même promis, que quand je serai grand, je pourrai faire comme lui, dans les champs, avec ma sœur, jouer à d’autres jeux, être un homme quoi. Et depuis qu’elle est tombée de l’arbre en cueillant des pommes, elle est plutôt docile, la sœur, mais le père ça le paralyse. Il la regarde d’un drôle d’air, comme s’il avait quelque chose à se reprocher, je crois qu’il n’a pas aimé qu’elle tombe. Et c’est plutôt la mère qui est contente, elle a retrouvé le sourire. C’est sûr, c’est elle maintenant qui va retourner dans les champs avec le père. Au village, certains ont même dit qu’elle avait fait exprès de tomber de l’arbre. Vraiment, les gens disent n’importe quoi. Ah, j’avais oublié de vous dire, ma sœur, elle s’appelle Lisa, je trouve que c’est un joli prénom.


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